Green IT
Feu vert pour une IT plus green
Par La rédaction, publié le 16 décembre 2022
Sustainability : désormais tous responsables !
Microsoft, Google, AWS, Nutanix, Pure Storage, Akamaï mais aussi L’Oréal, Michelin, Saint-Gobain, Generali, Sanofi et bien d’autres… Aujourd’hui, quel que soit le secteur d’activité ou la taille de l’entreprise, communiquer sur son empreinte environnementale du numérique est non seulement devenu une obligation, mais aussi un levier d’attractivité pour séduire plus de consommateurs, plus de compétences rares, ou encore pour retenir des collaborateurs de plus en plus sensibles aux comportements éthiques de leur employeur.
À défaut de réglementation précise ou encore de normes universelles sur la sustainability, les entreprises communiquent sur « tout et n’importe quoi » pour redorer leur image, investissant souvent plus en communication qu’en actions directes pour préserver les ressources de la planète. Mais cette ère du « greenwashing » touche à sa fin. Car, à défaut d’investir réellement dans une démarche de développement durable, les entreprises risquent de payer très cher l’opulence informatique.
Des enjeux financiers et réglementaires qui se précisent
« Dans notre monde économique, l’aiguillon le plus puissant est souvent financier, estime Carole Davies-Filleur, directrice associée Sustainability & Technology chez Accenture. Or, de plus en plus d’analystes financiers vérifient que les entreprises font bien ce qu’elles disent. Ils émettent ensuite un avis sur la politique de développement durable de l’entreprise, opérant par la même occasion une saine pression. » Il existe même des indices mondiaux sur la sustainability classant les entreprises selon leur niveau de maturité écoresponsable, le plus connu étant le Dow Jones mondial du développement durable (Dow Jones Sustainability World Index ‒ DJSI World). Lancé en 1999, il a fait des émules à travers le monde, dont le Dow Jones Sustainability Europe Index. Comme en bourse classique, la cotation au DJSI impacte l’image de l’entreprise et, par voie de conséquence, l’attitude des investisseurs.
Ces indices restent très controversés, notamment parce que les normes permettant de mesurer l’empreinte environnementale du numérique font encore défaut. « Mesurer l’empreinte carbone, c’est assez facile, d’autant qu’il existe des standards internationaux. On manque parfois de données, mais les schémas de mesure existent. Pour le reste, c’est-à-dire la consommation de minerais et d’eau, la préservation de la biodiversité, etc., c’est beaucoup plus compliqué car tout n’est pas normé et on finit par mélanger des choux et des carottes », confirme Olivier Renaud, président d’Impakt, filiale de l’ESN Constellation qui accompagne les entreprises dans le pilotage de leur stratégie bas carbone.
Cette absence de normes dédiés à la sustainability pourrait toutefois ne pas durer, ainsi que le souligne Carole Davies-Filleur : « Même si tout n’est pas inscrit dans la loi française, la pression réglementaire locale et parfois européenne ne cesse de croître. La feuille de route sur l’environnement et le numérique (FREN) en est un exemple concret. »
« Pour l’instant, les entreprises ne sont pas obligées de communiquer sur l’empreinte environnementale de leur IT, mais on sent que cela va arriver, avec probablement des sanctions à la clé pour celles qui ne respecteront pas les règles », ajoute Laurence Jumeaux, en charge de l’offre Sustainable IT chez Capgemini Invent.

Carole Davies-Filleur : « Même si tout n’est pas inscrit dans la loi française, la pression réglementaire locale et parfois européenne ne cesse de croître. La feuille de route sur l’environnement et le numérique (FREN) en est un exemple concret. »
Fondateur de GreenIT.fr, collectif d’experts de la sobriété numérique et du numérique responsable, Frédéric Bordage estime que les entreprises ont deux à trois ans pour agir concernant la sustainability: « Les contraintes existent. Et quand, par exemple, l’article 2 de la loi Climat et résilience incite les entreprises à faire des expérimentations sectorielles d’affichage environnemental, c’est forcément pour préparer des obligations légales. On peut imaginer avec une bonne dose de certitude que, de la même façon qu’on a aujourd’hui un nutri-score sur les emballages alimentaires, on aura à partir de 2025 un numéri-score pour les produits et services informatiques. »
Des secteurs plus avancés que d’autres côté « sustainability »
« Les entreprises ne sont jamais aussi green que quand des questions d’argent ou de réglementation sont en jeu, ajoute Fabrice Coquio, directeur général d’Interxion France. Le sujet est finalement assez similaire à celui de la sécurité : tandis que certaines n’hésitent pas à investir, d’autres ont l’impression qu’on leur coupe un doigt quand elles doivent mettre 2 .000 euros dans un lecteur de badge ». « En termes de maturité intellectuelle, la France a pourtant été pionnière, rappelle Jean Leviste, consultant senior éthique numérique de Sopra Steria Next. Le sujet de la green IT a émergé autour des années 2007-2008, et les premières connaissances venaient de France. » Côté maturité opérationnelle sur la sustainability, comme l’indique Fabrice Coquio, on constate toutefois de grands écarts en fonction des secteurs d’activité et des tailles d’entreprise.
Faute de normes internationales concernant la sustainability, les multinationales ont du mal à mettre en place une politique cohérente, respectueuse des réglementations propres à chaque pays. Plus agiles, les start-up profitent de l’absence d’historique pour dérouler des stratégies en pointe sur le développement durable. Au-delà de la taille de l’entreprise, le secteur d’activité joue également un rôle important.
« Le secteur énergie n’a pas le choix : à l’ère de l’énergie renouvelable, la green IT est une question d’image, estime Laurence Jumeaux. La banque et les assurances n’ont pas le choix non plus, mais pour d’autres raisons : l’IT est leur outil de travail, il représente donc une part importante de leur impact environnemental. Dans l’industrie, en revanche, la part de l’IT dans l’empreinte environnementale est mineure. Résultat, les entreprises du secteur ont relativement peu investi le sujet. Il faut toutefois noter des exceptions, comme le secteur de l’automobile ou de l’aéronautique pour des raisons d’image : quand on veut vendre des voitures électriques ou encourager le public à prendre l’avion, il faut s’acheter une image écoresponsable. »
Malgré les directives gouvernementales, le secteur public ne s’est pas encore vraiment emparé du sujet, estime la responsable de l’offre Sustainable IT de Capgemini Invent. « Les organismes publics manquent de budget, explique-t-elle. Mais cela va venir, ne serait-ce que parce qu’ils ont un devoir d’exemplarité ». Moins tranché, Damien Giroud, directeur des ventes nationales de l’entité Secure Power de Schneider Electric, constate des évolutions : « Autrefois, les marchés publics s’intéressaient surtout au prix et un peu à la technique. Aujourd’hui, ils prennent aussi en compte des critères environnementaux. » Un point de vue partagé par le secteur des télécoms : « Les questions du coût et de la fiabilité de l’infrastructure bornaient jusqu’alors le débat. Il faut désormais s’efforcer d’y ajouter des critères de durabilité », déclare le référent de la communauté Expert Énergie & Environnement d’Orange dans le cadre d’une étude de Sopra Steria Next portant sur la frugalité numérique.
Les prestataires IT dans les starting-blocks
La pression exercée sur les entreprises a entraîné une prise de conscience qui n’a pas échappé aux acteurs de l’IT : ils forment leurs consultants à tour de bras, car on manque terriblement de compétences, et préparent de nouvelles offres estampillées « sustainability » pour accompagner les clients dans leur démarche.
« Un jour, de la même façon qu’on fait aujourd’hui du security by design, on fera de la green IT by design, prédit Morgane Bahurel-Boulangé, client technical advisor chez IBM. Mais pour l’instant, on en est encore loin. Il reste un travail à faire auprès des universités et des écoles pour les aider à accélérer le mouvement ». « Il y a encore un an, certains de nos consultants ne savaient pas ce qu’était un scope 3 », avoue Côme Perpère, directeur du développement durable et de la transformation de Microsoft France. Preuve que les entreprises ne sont pas les seules à souffrir du manque de compétences. Idem chez Nutanix qui utilise la Fresque du Numérique, atelier en ligne de trois heures et inspiré de la Fresque du Climat, pour sensibiliser et former ses collaborateurs aux enjeux environnementaux du numérique. « C’est un excellent outil qui permet de créer une communauté de pensée, de dépasser des a priori et de faire accepter, par exemple, des politiques d’équipement des collaborateurs avec du matériel reconditionné tout en préservant l’attractivité de l’entreprise. » De son côté, Capgemini vient de sortir ‒ en collaboration avec l’INR (Institut du numérique responsable) ‒ un serious game sur l’écoconception destiné aux différents profils d’une équipe projet (développeur, architecte, etc.).
En parallèle de cette montée en compétences, les acteurs de l’IT balaient devant leur porte. Ainsi, tandis que les fabricants s’engagent dans le recyclage et l’économie cellulaire avec plus ou moins de conviction, les grands prestataires de cloud investissent dans l’énergie renouvelable et se sont fixés des objectifs de neutralité carbone à horizon 2025 ou 2030. Certains ont même déjà passé des jalons significatifs : « Nous sommes neutres en carbone sur le scope 1 et 2 depuis décembre 2020 », précise Fabrice Coquio, qui entend ainsi montrer la voie à sa filière tout en développant un avantage concurrentiel pour ses clients.
La lente émergence des outils de mesure et de suivi
Accusés de manquer de transparence, les prestataires mettent aussi en place de nouveaux outils pour donner de la visibilité à leurs clients. Mais si AWS et Google s’intéressent surtout au calcul de l’empreinte carbone d’un workload, Microsoft ambitionne d’aller beaucoup plus loin avec un tableau de bord (actuellement en mode preview) qui permet à ses clients de mesurer les émissions des services Azure et d’Office 365. « Nous prenons en compte le scope 3 dans les outils que nous fournissons à nos clients, explique Côme Perpère. De la même façon, nous savons très exactement combien coûte une heure de VM sur Azure à la planète, car notre politique de développement durable est articulée autour de quatre piliers : carbone, eau, déchets et biodiversité. » Très investi, Microsoft travaille également sur une plateforme de gestion de la donnée environnementale qui permettrait aux DSI de calculer leur empreinte et de suivre leur démarche. Prévu pour le courant de l’année, cet outil couvrira les scopes 1, 2 et 3 et devrait être compatible avec n’importe quelle base d’inventaire de parc informatique et autres bases de données de référence, telle la base du consortium NegaOctet sponsorisée par l’Ademe.
Si l’information se confirme, on pourrait alors assister à un autre tournant de la green IT, car l’absence d’outillage pour mesurer l’impact global du numérique constitue aujourd’hui l’une des principales difficultés rencontrées par les DSI. « Le marché de la green IT est en cours de construction, confirme Jean Leviste. Il faudra encore un peu de temps avant d’avoir une offre mature, avec des outils vraiment efficaces et pertinents. »
Sustainability : par où commencer ?
En attendant cet outil « miracle » capable de calculer et suivre l’empreinte à partir d’un inventaire IT, les DSI « bidouillent », agrégeant les données FinOps fournies par leurs prestataires de cloud aux données internes, au sein de tableaux de bord plus ou moins exacts. « Cette partie diagnostic reste compliquée, reconnaît Laurence Jumeaux. La difficulté tient à la collecte des données qui sont à la fois partout et nulle part. Certaines peuvent être récupérées automatiquement dans la CMDB, mais celle-ci est rarement complète. Et même quand les DSI disposent de suffisamment de matière pour calculer leur impact, ils n’arrivent pas toujours à trouver les leviers pour réduire leur empreinte. »
De fait, une démarche Green IT ne se résume pas à faire plus ou autant avec moins de numérique. Et, certaines équations restent difficiles à résoudre. Remplacer les impressions par un coffre numérique ne profite pas forcément à la planète. De la même façon, est-il préférable de conserver un PC plus longtemps ou faut-il le reconditionner avant qu’il ne soit plus réutilisable ? Faut-il conserver un serveur pendant vingt ans pour éviter la fabrication de nouvelles machines coûteuses en ressources rares ou au contraire opter pour un renouvèlement régulier afin de profiter des dernières innovations technologiques dans le domaine de la consommation énergétique ?
Établir une feuille de route « sustainability »
« Certaines entreprises ont lancé des actions à gauche, à droite, et se sont essoufflées en cours de route, faute de stratégie et de capacité à mesurer les progrès, ajoute Laurence Jumeaux. Il faut commencer par établir une feuille de route et lancer des actions là où on sait qu’on peut réduire son empreinte en les priorisant en fonction de deux critères : l’impact et la faisabilité. Typiquement, on sait que le poste de travail représente 60 % de l’impact, alors autant s’attaquer tout de suite à son cycle de vie. On n’a pas besoin de faire des calculs à ce stade, c’est uniquement une question de process interne : comment j’achète, comment je maintiens, combien de temps je garde un PC et comment je gère sa fin de vie. Selon les entreprises, changer ces process peut être plus ou moins compliqué, mais ce type de démarche présente l’avantage du “quick win”. » « La recette magique n’existe pas, ajoute Fabrice Coquio. C’est un travail ingrat car la réussite passe par la somme de plein de petites actions qui, mises bout à bout, permettent d’avancer. »
Le sujet est d’autant plus délicat que « obtenir l’empreinte carbone d’un produit acheté chez un prestataire, qu’il soit prestataire de cloud ou fabricant de machines, reste difficile. Dans 80 % des cas, l’information est imprécise, floue ou inexistante, souligne Olivier Renaud d’Impakt. Nous sommes un des premiers revendeurs IBM et pourtant nous n’avons pas l’empreinte carbone de leur matériel. » Or, cette information est essentielle pour mener à bien une stratégie de green IT qui prend en compte le scope 3. Pour Fabrice Coquio, il faut savoir s’entourer de partenaires engagés dans la même démarche : « Je sollicite sans arrêt tous mes partenaires pour, non seulement avoir l’information qui me manque, mais aussi m’assurer qu’ils partagent mes préoccupations. La démarche est loin d’être simple car, au niveau scope 3, il faut couvrir toute la chaîne, de Schneider qui me fournit mes onduleurs aux sociétés qui font le ménage ou assurent la sécurité. Face à certains grands majors, on a parfois l’impression de parler chinois, c’est pourquoi nous avons, par exemple, opté pour une petite société familiale de ménage à Marseille, plus à l’écoute et prête à s’engager. » Schneider a adopté une approche similaire en accompagnant ses 1 000 principaux fournisseurs de matières premières dans une réduction de 50 % de leur empreinte carbone. Dit autrement, en l’état actuel, les DSI auront besoin de toute l’aide que leurs partenaires pourront leur apporter pour mener à bien une politique efficace de réduction de leur empreinte du numérique. Marie Varandat
Comprendre les Scopes 1, 2 et 3

NegaOctet, un référentiel de données pour calculer son impact
Faute de données pour évaluer l’impact d’un écran, d’une imprimante ou d’un serveur, les DSI ont du mal à estimer l’empreinte environnementale de leur IT. Fruit de 36 mois de travaux de recherche menés par LCIE Bureau Veritas, APL Data Center, GreenIT.fr et DDemain dans le cadre de l’appel à projets de l’Ademe Perfecto 2018, le consortium NegaOctet propose une base de 1 500 composants et équipements, classés selon quatre niveaux de granularité. À chaque équipement sont associés jusqu’à 30 facteurs d’impacts : de l’épuisement des ressources abiotiques au réchauffement global en passant par l’eutrophisation. La base est commercialisée depuis février 2022 sous forme de licence annuelle allant de 5 000 à 50 000 euros, selon la taille de l’entreprise, sa couverture géographique et l’usage (interne ou pour vendre des prestations reposant sur les données de la base). « À défaut d’avoir réussi à la mettre en open source, nous la commercialisons pendant trois ans, explique Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr. Mais nous allons transférer la propriété intellectuelle de la base aux utilisateurs. Dans cette perspective, le consortium NegaOctet a créé une association des utilisateurs et, dans trois ans, les données leur appartiendront et ils décideront ensemble de l’évolution du modèle de la base. »
Aligner business, contraintes et actions…
Bien que très investi sur le sujet de la sustainability, Microsoft n’a pas hésité à imposer à ses clients un changement de matériel lors de la migration vers Windows 11, nombre de postes de travail existants n’étant pas compatibles. Peu à l’aise sur le sujet, Côme Perpère, directeur du développement durable et de la transformation de Microsoft France, commence par botter en touche avant de reconnaître que certains équilibres entre innovation, sécurité et développement durable sont difficiles à trouver : « Nous n’obligeons personne à migrer et cette évolution matérielle répond à des problématiques de sécurité que nous ne pouvions pas ignorer. Cela étant, nous ne pouvons pas non plus ignorer les feedbacks du marché et nous allons les prendre en compte. Des annonces sur le sujet sont prévues dans le courant de l’année. »
De la difficulté d’identifier les gisements de réduction de l’empreinte carbone
Dans le cadre de son étude « Sustainable IT », Capgemini Research Institute a classé les différents leviers d’optimisation par cas d’usage offrant le plus d’économies en termes d’empreinte carbone. Le poste de travail y apparaît en bas de l’échelle. Dans une approche plus globale intégrant l’eau, les déchets ou encore les ressources rares, le poste de travail arrive généralement en première position.
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