Une IT plus green

Green IT

Feu vert pour une IT plus green

Par La rédaction, publié le 16 décembre 2022

Comment la DSI doit se mettre à la « sustainability »

Pour engager la dynamique sustainability, la DSI doit s’appuyer sur des collaborateurs convaincus par les bienfaits du numérique responsable et trouver des relais en interne. Seul un cadre de gouvernance ad hoc permet d’inscrire dans la durée les actions de réduction de l’empreinte environnementale de l’IT.

Qui pour incarner le numérique responsable au sein de la DSI ? Ces derniers mois fleurissent des offres d’emploi aux intitulés exotiques. À côté des sobres « référent Green IT » ou « responsable numérique responsable », des organisations jouent la carte anglo-saxonne avec des libellés tels « sustainable IT manager », « sustainability champion » ou « head of IT sustainability ».

Dans sa dernière nomenclature RH, le Cigref a, lui, retenu le « responsable Green IT » dont la mission est de concevoir et piloter les indicateurs de mesure, de faire monter en compétences les équipes IT et de sensibiliser les métiers aux bienfaits de la sobriété numérique. Hiérarchiquement, il reporte au DSI ou à son N-1.

Son profil ? Un ingénieur informatique bénéficiant d’une formation au développement durable et un minimum de dix ans d’expérience dans plusieurs métiers opérationnels de la DSI et la supervision de projets. À cette double compétence, Henri d’Agrain, délégué général du Cigref, ajoute une bonne connaissance des métiers de l’entreprise. « Au-delà de l’impact de l’IT sur le bilan carbone, la DSI peut aider les métiers à réduire leur empreinte par des bonnes pratiques. On parle alors de Green by IT. »

Directeur communication et événementiel de l’Institut du numérique responsable (INR), Emmanuel Laroche parachève le portrait-robot. « Le bon sens ne suffit pas. Un référent numérique responsable doit posséder une culture scientifique forte dans les sciences environnementales et les sciences dures (maths, physique). Pour avoir une approche systémique, il doit également faire le lien entre le software et le hardware. Or, il est rare d’avoir les deux compétences. » 

En résumé, le référent numérique responsable doit, selon lui, être, tout à la fois, « un énergéticien, un environnementaliste, un informaticien et un communicant. Parmi les membres de l’INR, on trouve aussi des profils RSE. Ils excellent dans la communication interne, moins sur le volet technique. »

Un bâton de pèlerin pour commencer

Directrice générale d’IJO, cabinet de conseil dans le numérique responsable, Aurélie Gracia Victoria insiste, elle, sur l’approche transverse de la fonction. « Il doit aller à la rencontre des différents métiers de la DSI, au niveau des datacenters, des réseaux ou du poste de travail. Il est également en relation avec les éditeurs de logiciels, les fournisseurs de cloud et les prestataires d’outsourcing. » 

Pour avoir cette dimension transverse, ce référent numérique responsable / sustainability a généralement exercé une fonction « cockpit ». Il a, selon elle, exercé des missions dans la gestion des actifs logiciels ou dans la supervision des incidents (ITSM). Il peut être également issu de la direction financière, de la DSI ou des achats IT. 

Pour autant, Monsieur ou Madame Green IT exerce rarement cette fonction à temps plein. Pour le Cigref, ce métier récent apparaît avant tout dans les organigrammes des grands comptes et des administrations comptant plus de 2  000 employés. Les DSI d’EDF, de La Poste, de Pôle emploi, d’Axa, d’Adecco, du Crédit Agricole ou encore de Bouygues font figure de pionnières dans le domaine. 

Vice-présidente business technology chez Capgemini Invent, Laurence Jumeaux note par ailleurs que beaucoup de référents numérique responsable démarrent sans équipe ni budget, ni même compétences spéciales sur le sujet. « Les formations sont rares donc chères et ils suivent assez classiquement le Mooc de l’INR. » 

« Les référents numérique responsable sont souvent isolés dans leur organisation, déplore également Laurent Eskenazi, co-organisateur de Boazvita, un groupe de travail inter-entreprises dédié à la mesure et au pilotage des impacts environnementaux des SI. Ils portent une conviction environnementale personnelle et prennent leur bâton de pèlerin pour faire grandir le sujet en interne et embarquer leur direction. »

Pour Laurence Jumeaux, 2021 semble toutefois avoir été une année de transition, notamment en octobre, au moment de l’arbitrage budgétaire. Il faut dès lors battre le fer quand il est chaud. « Une fois les budgets débloqués, il faut dessiner la feuille de route et s’attaquer tout de suite aux “quick wins” comme l’allongement de durée de vie des PC de trois à cinq ans. »

Suivre la règle des 3P

Les entreprises matures ne se limitent pas à la nomination d’un référent « sustainability ». Elles mettent aussi en place un cercle Green IT réunissant des correspondants dans les différents métiers de la DSI, des études à l’infrastructure, mais aussi des représentants de la direction RSE et des utilisateurs. 

Ce type d’instance pilotée par des indicateurs de mesure permet, selon Aurélie Gracia Victoria, d’inscrire la démarche dans la durée. « Quand on évoque les pistes d’amélioration, on s’aperçoit souvent qu’elles ont été identifiées en interne puis abandonnées faute de moyens ou de suivi. Il y a un effort de pédagogie à réaliser pour expliquer les enjeux aux équipes IT, prioriser les chantiers, puis valoriser les gains environnementaux obtenus. »

En parallèle, un comité d’arbitrage va évaluer les nouveaux projets à l’aune de la règle des 3P ‒ Planet, People, Profit ‒, ou comment concilier la préservation de la planète avec les impératifs sociétaux et économiques. « Autant intégrer ces enjeux en phase amont, estime Benoit Durand, manager numérique responsable & sustainability chez Wavestone. En fin de projet, la marge de manœuvre est plus réduite. » Une démarche d’écoconception permet, par exemple, d’améliorer l’expérience utilisateur en accélérant l’affichage des pages web tout en rendant les services numériques plus accessibles. Dans le même esprit, le don d’équipements IT en fin de vie à des ONG permet de réduire la fracture numérique ou prévenir le décrochage scolaire. Et quand le réemploi n’est pas possible, le reconditionnent des matériels obsolètes fait travailler des personnes en situation de handicap dans les entreprises adaptées. 

Cette règle des 3P peut conduire une DSI à faire le grand écart. « On attend d’elle qu’elle accélère la transformation numérique, et là, on lui rajoute un critère qui ne va pas dans le même sens, pointe Aurélie Gracia Victoria. Dans le même temps, le secteur du numérique est un des derniers à se réveiller alors que son empreinte a fortement augmenté. Il y a une nette prise de conscience des équipes IT. Elles n’ont pas envie d’être pointées du doigt comme des mauvaises élèves. »

Pour emporter l’adhésion de ses interlocuteurs en interne, il faut faire preuve de pédagogie et de conviction sur le sujet sustainability. Pour marquer les esprits, Emmanuel Laroche utilise la planche du World Economic Forum sur les risques mondiaux. « En janvier 2020, on trouvait, dans le top 9, six risques environnementaux et deux risques informatiques, devant les maladies infectieuses. Une fois que le risque est bien perçu, la salle vous écoute. Vous n’êtes plus perçu par certains comme l’écologiste de service. »

Il rappelle, par ailleurs, que le numérique responsable peut être source de réduction de coûts. « En s’intéressant à ses consommations, on met toutes les chances de son côté de trouver des projets rentables. Si on ne s’y intéresse pas en revanche, on est sûr de passer à côté ! »

Introduire des critères « verts » dans les appels d’offres

La DSI doit aussi travailler avec les autres départements de l’entreprise. « Les infrastructures du datacenter (refroidissement, alimentations électriques, protections incendie) sont par exemple gérés par le facility management, note Emmanuel Laroche. Lui seul connaît précisément la consommation électrique d’un site et le coût de l’électricité. » 

La DSI doit également se rapprocher des achats, un service éminemment clé. L’objectif est d’introduire dans les appels d’offres des critères dédiés au numérique responsable, puis de noter les soumissionnaires qui répondent. « Les entreprises les plus volontaristes vont pondérer ces critères jusqu’à 15 à 20 %, observe Benoit Durand. Une façon de monter en maturité est de relever progressivement la pondération sur deux à trois ans. »

Airbus informe désormais ses fournisseurs des critères environnementaux, et à présent sociétaux, qui seront exigés dans les futurs appels d’offres. « Le volet sustainability pèsera au moins 5 % dans la note finale des projet IT, avance Emmanuel Laroche. Chez certaines organisations matures sur le sujet comme Pôle emploi, cela peut aller jusqu’à 20 %. »

Les acheteurs peuvent aussi s’appuyer sur la norme ISO 14001 qui oblige les fournisseurs à mesurer tout le cycle de vie de leurs équipements et pas seulement la consommation énergétique, dont les écolabels TCO Certified, Epeat, Energy Star ou Blue Angel se font le reflet. À cet effet, l’INR a publié un guide pratique pour des achats numériques responsables qui a été, depuis, enrichi par la Dinum. 

Pour Malika Pastor, directrice des systèmes d’information et du numérique de Colliers, il convient de faire un benchmark pour voir quels constructeurs s’engagent réellement sur la réduction de leur empreinte carbone. « Dell fournit par exemple des indicateurs sur une consommation annuelle en fonction du modèle du serveur. Mais on est encore aux balbutiements de ce qui est attendu. » Il faut aussi, selon elle, isoler l’impact de la crise sanitaire qui fausse la donne en termes de bilan carbone : « La généralisation du télétravail a généré plus d’achats d’écrans, sachant qu’un moniteur génère autant de gaz à effet de serre qu’un ordinateur… »

Pour aider les entreprises dans ce travail de benchmark, Boavizta propose une base de données de matériels alimentée depuis les fiches environnementales des constructeurs. « Ces données sont collectées, agrégées, fiabilisées et challengées », précise Laurent Eskenazi.

L’informatique de DB Schenker, filiale logistique de l’opérateur ferroviaire allemand Deutsche Bahn, gère elle-même ses achats à 90 %. « Il est important de montrer aux grands fournisseurs que nous sommes sensibles à la démarche écoresponsable, estime Jacques Patron, son DSI. Pour autant, la réalité nous rattrape parfois. Le passage à Windows 11 nous a conduits à mettre 1 .500 PC au rebus. Cela nous oblige à nous améliorer sur d’autre sujets comme le recyclage et la seconde vie des matériels. »

Marquer les esprits avec des messages forts

La DSI doit aussi s’adresser aux utilisateurs finaux. « Il est important de les sensibiliser aux enjeux globaux, par exemple avec la Fresque du Climat, d’isoler la contribution du numérique, puis de montrer comment chacun à son niveau peut agir », estime Benoit Durand. Les événements de type défis, comme le cyber cleanup day (nettoyage annuel des boîtes mail) ou les hackathons, sont, selon lui, intéressants pour engager une dynamique. 

À la DSI de DB Schenker, Jacques Patron a, lui, entrepris des actions de sensibilisation des utilisateurs sur la durée de vie des matériels ou encore la réduction de la taille de la boîte mail. « Cela demande de la pédagogie. Il faut expliquer pourquoi on ne renouvelle plus aussi souvent le matériel, pourquoi il faut éteindre son poste de travail le soir et le week-end. » Il convient aussi, selon lui, de marquer les esprits : « Nous avons représenté notre consommation de papier annuelle en une pile de ramettes de X kilomètres de hauteur. » En retour, les utilisateurs sont force de propositions pour tout ce qui a trait à la sustainability : « Lors de réunions dédiées, ils émettent des pistes d’amélioration et de réduction de notre empreinte. »

Échanger avec ses pairs et avec les consultants

Le DSI doit également pouvoir échanger avec ses pairs et recueillir leurs bonnes pratiques estampillées « sustainability ». Ces dernières années, les cercles dédiés au sujet se sont multipliés. Aux historiques GreenIT.fr, INR, et Agit (Alliance Green IT), on peut citer le think tank The Shift Project, le groupe de travail Boavtiza, ou encore Planet Tech’Care, un projet initié par Numeum, mais ouvert aux entreprises utilisatrices. Sans oublier le Cigref qui pousse à la réflexion via de nombreux groupes de travail sur la sustainability et la sobriété numérique.

Enfin, Malika Pastor, DSI de Colliers, estime que les DSI, au stade actuel de maturité, doivent se faire accompagner par des sociétés de conseil spécialisées dans la sustainability. « Elles apportent une méthodologie, un regard extérieur, sans être encore trop onéreuses. » Selon elle, le tarif de leurs prestations devrait fortement augmenter une fois qu’un cadre réglementaire et législatif plus répressif sera mis en place. Xavier Biseul


TÉMOIN Jacques Patron, DSI de DB Schenker

« Un cercle Green IT à la DSI de DB Schenker »

Pas de référent numérique responsable chez DB Schenker. La DSI a fait le choix de créer un groupe Green IT, sur la base du volontariat. « Face à l’afflux de candidatures, nous avons dû limiter le nombre de participants », se souvient Jacques Patron, son DSI. 

« L’objectif premier d’une DSI n’est pas de limiter ses émissions carbone, mais bien de répondre aux besoins des utilisateurs, rappelle-t-il. C’est donc un sujet additionnel qui exige une conviction personnelle. J’ai demandé à mes équipes : en marge de votre travail d’informaticien, voulez-vous vous engager dans l’aventure du défi du réchauffement climatique ? »

À charge pour ce groupe Green IT de cerner, pour les cinq prochaines années, les pistes de réduction applicables en mixant les actions à la fois à fort impact et facilement réalisables, et celles à long terme. DB Schenker agit ainsi pour la fermeture de deux de ses datacenters et l’arrêt de la location de matériel pour gérer les fins de vie de ses équipements. La direction RSE a participé à la rédaction du plan d’actions. 

En termes de reporting, la DSI de DB Schenker organise une plénière tous les trois mois durant laquelle elle communique sur les projets Green IT. Elle dresse, par ailleurs, un bilan une fois par an auprès du Comex.


Des initiatives encore limitées

Une récente étude de BearingPoint, réalisée auprès d’entreprises françaises de plus de 200 salariés, dresse un bilan mitigé sur la sustainability. 77 % d’entre elles ont lancé une démarche numérique responsable ou prévoient de le faire dans les prochains mois. Parmi les facteurs incitatifs, la stratégie RSE groupe arrive largement en tête (60 %), devant la marque employeur (30 %) et la pression réglementaire (27 %).

Au sein des organisations ayant initié ce type de stratégie, plus
des trois-quarts ont déclenché des actions de sensibilisation des employés collaborateurs, par exemple avec une charte utilisateur numérique responsable. En revanche, elles tardent à mettre en place des actions plus opérationnelles comme la mesure de l’impact environnemental de l’IT (40 %) ou l’écoconception applicative (37 %). 

Plus gênant, peu d’entreprises (15 %) débloquent les moyens humains et financiers nécessaires pour nommer un responsable à plein temps ou monter une équipe dédiée. 33 % des  DSI remontent, par ailleurs, un manque de compétences et d’outils au sein de leur organisation pour mesurer l’empreinte carbone de l’IT. Enfin, un tiers n’impliquent pas les équipes achats internes. Or, comme le rappelle BearingPoint, il s’agit d’un levier à fort impact et activable rapidement.

Initiatives lancées sur le sujet de la sustainability

Une pression réglementaire appelée à se renforcer

Le constat fait l’unanimité. La pression réglementaire va fortement augmenter dans les prochaines années et une DSI a tout intérêt à anticiper le mouvement. Pour l’heure, l’étau de la sustainability se resserre avant tout sur les fournisseurs et les acteurs publics.

Promulguée mi-novembre, la loi REEN (Réduire l’empreinte environnementale du numérique) élargit le délit de l’obsolescence programmée à l’obsolescence logicielle et oblige les services publics et les collectivités territoriales à orienter leurs équipements informatiques de moins de dix ans vers le réemploi ou la réutilisation. Depuis le 1er janvier, les opérateurs télécoms doivent indiquer sur leurs factures l’impact carbone des consommations de données de leurs abonnés. 

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