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Les Dessous de la tech : l’IA va-t-elle tuer l’emploi ?

Par La rédaction, publié le 17 décembre 2025

Sur le plateau des Dessous de la tech, Anne-Laure de La Rivière interroge Philippe Pujalte (Directeur général adjoint, Inetum France), Stéphanie Tchou-Cotta (scénariste et réalisatrice) et Grégory Verdugo (professeur en sciences économiques à l’Université de Cergy, auteur de L’IA et l’emploi) : l’IA va-t-elle tuer l’emploi, ou transformer le travail ? Productivité, compétences, juniors, surveillance… un épisode à regarder pour comprendre ce qui bouge, concrètement, dans les organisations.

Il y a des débats qui tournent en boucle, et puis il y a les moments où, soudain, on entend des phrases qui obligent à se positionner. Ici, la promesse est simple : parler d’IA et d’emploi sans se cacher derrière les slogans. Pas « l’IA va tout casser », pas « l’IA va tout sauver ». Plutôt une exploration, à trois voix, de ce que l’automatisation déplace déjà dans les entreprises et dans les métiers créatifs.

Premier constat : la question n’est plus théorique. Quand des IA savent résumer des documents, aider à analyser des contrats, produire du code et générer des tests, ce n’est pas « le futur ». Ce sont des gestes de travail qui changent, maintenant. Et quand ces gestes changent, la chaîne entière — formation, organisation, contrôle, entrée dans le métier — se réorganise derrière.

« On ne parle pas de destruction d’emplois, mais de tâches »

Le point de départ est net : ce qui bascule, ce sont les tâches routinières. L’argument n’est pas de nier les effets de substitution, mais de les cadrer : l’IA prend en charge des morceaux de travail, et l’humain se recentre sur la supervision, le jugement, le relationnel, parfois même l’éthique.

L’exemple le plus parlant est celui des juristes : l’IA fait un premier tri, signale des points de vigilance, « augmente » l’attention humaine au lieu de s’y substituer. Même logique côté développeurs : routines produites plus vite, tests en partie automatisés, et un déplacement du travail vers la qualité, la sécurité, l’évolutivité. Le gain de vitesse n’est pas présenté comme un gadget : il devient un levier de compétitivité.

La fracture qui dérange : « deux types de professionnels »

Le moment le plus clivant arrive quand l’idée est formulée sans détour : demain, il y aura ceux qui savent utiliser l’IA — et ceux qui ne savent pas. Ce n’est pas l’IA « contre » l’humain, c’est l’IA comme accélérateur de performance… donc comme révélateur d’écarts.

Dit autrement : la peur du remplacement n’est pas seulement une peur de machine. C’est aussi la peur d’être relégué parce qu’on n’a pas été formé, pas accompagné, pas mis en situation. Le sujet devient alors un sujet de vitesse d’adoption, de politique RH, de formation continue et de culture d’entreprise, plus qu’un débat abstrait sur « l’emploi » en général.

Création, imitation, et fatigue du contenu généré

Dans les métiers créatifs, la réponse est moins économique, plus intime. L’IA peut imiter, mais l’imitation n’est pas la création : c’est l’idée centrale. Raconter une histoire, ce n’est pas seulement « rédiger » : c’est transmettre une émotion vécue, une surprise, un sens du rythme, ce moment où « ça claque ».

Là où d’autres voient un tsunami, il y a un pari : celui de la lassitude. Le contenu généré peut envahir, saturer, se répéter, produire la même musique de fond — et déclencher un rejet. Pas par principe moral, mais par fatigue esthétique. Et au fond, la question posée n’est pas « l’IA sait-elle faire ? » mais « est-ce que les humains auront envie de ça ? ».

Le temps long : la technologie avance plus vite que les organisations

L’apport le plus froid — et peut-être le plus utile pour les décideurs — est celui du décalage. L’IA est déjà là, mais l’intégrer correctement ne va pas de soi. Certains travaux montrent même que l’IA peut dégrader la cohésion d’équipe, ou faire baisser la performance quand des salariés lui font trop confiance, surtout sur des cas imparfaitement similaires à ceux qu’elle « connaît ».

D’où une idée contre-intuitive : les premiers investissements peuvent être décevants, et la diffusion réelle se joue sur dix à quinze ans. La maturité technique n’est pas la maturité organisationnelle. Ce décalage alimente à la fois l’excitation… et l’argument de la « bulle ».

Le vrai angle mort : les juniors et les tâches d’entrée de carrière

Le point le plus sensible, pour beaucoup d’entreprises, arrive quand on parle des jeunes. Historiquement, on confiait aux juniors les tâches répétitives, documentaires, standardisées — précisément celles que l’IA automatise très bien. Le risque n’est pas seulement de « remplacer » des postes : c’est de supprimer des marches d’apprentissage.

Et là, le diagnostic reste prudent : les chiffres (notamment américains) existent, mais il est difficile de séparer l’effet technologique de la conjoncture. Autrement dit : oui, c’est peut-être l’IA… mais c’est aussi peut-être le cycle économique, la pression sur les coûts, la fin d’une période d’abondance. L’IA peut devenir, parfois, un alibi commode pour faire passer des restructurations.

Surveillance : quand l’IA mesure tout… et change la relation de travail

Dernier virage, rarement traité quand on parle « productivité » : la surveillance. L’IA permet d’analyser des volumes de données qui rendent possible un suivi très fin des salariés : trajets, temps, micro-actions sur un poste de travail, comportements. Cela peut réduire l’arbitraire — récompenser selon des métriques observables — mais cela peut aussi produire des effets pervers : sabotage, optimisation des seules tâches mesurées, pression constante, traque excessive.

Et une phrase ouvre, au passage, un débat plus large : la question de l’endroit où sont stockées ces données et de qui peut y accéder, surtout quand elles sont nominatives. Autrement dit, l’IA dans le travail n’est pas seulement une affaire d’outil : c’est aussi une affaire de gouvernance, de droit, de souveraineté des données.

Au final, le fil conducteur est limpide : l’IA ne signe pas la fin du travail, elle signe la fin d’un certain travail. Elle supprime du standard, renforce le jugement, déplace la valeur ajoutée, et met au centre la transition : formation, adaptation, organisation, garde-fous.

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FAQ – L’IA va-t-elle tuer l’emploi ?

L’émission défend une idée nuancée : l’IA supprime surtout des tâches standardisées, et transforme la nature du travail plus qu’elle ne “remplace” des métiers entiers.

L’IA détruit-elle plus d’emplois qu’elle n’en crée ?

Le débat reste ouvert. Sur le plateau, Philippe Pujalte (Inetum) affirme que l’IA sera globalement créatrice d’emplois via de nouveaux besoins de compétences, tandis que Grégory Verdugo rappelle le temps long d’adoption dans les organisations.

Qu’est-ce qu’un “travailleur augmenté” par l’IA ?

C’est un professionnel qui utilise l’IA pour gagner en vitesse, précision et qualité (analyse, synthèse, aide au code, tests, etc.), et se recentre sur des tâches à plus forte valeur : jugement, relationnel, coordination, décision.

Quels métiers sont les plus exposés à l’automatisation ?

Les activités composées de tâches répétitives, documentaires et standardisées. L’émission cite notamment la production de routines de code, la synthèse de documents, ou des pré-analyses de contrats.

Quels métiers sont les plus “renforcés” par l’IA ?

Ceux où la valeur repose sur la coordination humaine, la communication, le management, la négociation, et plus largement le travail en équipe — des dimensions jugées difficiles à substituer par une machine.

Pourquoi l’adoption de l’IA peut-elle décevoir au début ?

Grégory Verdugo souligne que l’intégration est souvent complexe : mauvais usages, excès de confiance dans l’outil, effets sur la cohésion d’équipe, projets qui ne se matérialisent pas. La technologie avance plus vite que la capacité des organisations à changer.

L’IA crée-t-elle une fracture entre ceux qui savent l’utiliser et les autres ?

Oui, le risque est explicitement posé : une partie des salariés peut être accélérée par l’IA, tandis que d’autres prennent du retard faute de formation et d’accompagnement.

Quel est le principal risque pour les juniors et jeunes diplômés ?

Un “angle mort” apparaît : les tâches confiées aux juniors (veille, documentation, tâches répétitives) sont justement celles que l’IA automatise bien. La question devient : quelles tâches d’apprentissage donner aux juniors pour construire l’expérience ?

Les licenciements attribués à l’IA sont-ils toujours liés à l’IA ?

Pas forcément. L’émission évoque aussi des facteurs conjoncturels (pression sur les coûts, cycles économiques) et l’idée que l’argument “IA” peut parfois servir de paravent dans certaines restructurations.

L’IA va-t-elle rendre le travail plus surveillé ?

Oui, c’est un point fort du débat : l’IA facilite la collecte et l’analyse de données sur l’activité (trajets, temps, interactions, etc.). Cela peut réduire l’arbitraire, mais aussi créer des dérives (pression, optimisation des tâches mesurées, traque excessive).

Comment se protéger face à l’IA en entreprise ?

L’émission insiste sur la gouvernance des données : quelles données sont collectées, où elles sont stockées, qui y accède, et dans quel cadre. La question devient stratégique dès lors que les données sont nominatives et liées à la performance des salariés.

Que dit Stéphanie Tchou-Cotta sur l’IA dans les métiers créatifs ?

Elle distingue imitation et création : l’IA peut reproduire des formes, mais l’émotion vécue, la surprise et la sensibilité humaine restent centrales. Elle anticipe aussi une possible lassitude face aux contenus générés.

Pourquoi regarder cet épisode des “Dessous de la Tech” ?

Parce qu’il met en regard trois angles complémentaires — entreprise, création, économie — et traite à la fois la productivité, la formation, l’emploi des juniors, et les risques de surveillance, sans tomber dans l’utopie ni le catastrophisme.

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